Une éducation révolutionnaire ? Apprendre la Révolution, apprendre de et dans la Révolution

Séminaire de Master 2 de l’IHRF–IHMC, avec l’université de Genève et les Archives Nationales

Sous la direction de Jean-Charles Buttier (université de Genève ÉDHICE)
et Pierre Serna (Paris 1 IHRF-IHMC)

Semestre de printemps 2021

Le mercredi de 17 h 00 à 19 h 00

Le temps du confinement, les séances se tiendront exclusivement sur Zoom.
Pour obtenir les informations de connexion,
prière de contacter Pierre Serna : pierreserna@wanadoo.fr

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L’enjeu de ce séminaire est de réfléchir au rapport dialectique entre éducation et révolution pendant la Révolution française sans s’y limiter puisque la charnière entre deux siècles est fondamentale, entre les projets des philosophes des Lumières et les réalisations pédagogiques des États naissant et s’affermissant au début du xixe siècle. La figure de Pestalozzi est ainsi emblématique incarnant une innovation pédagogique qui s’inscrit dans la continuité d’un siècle marqué par l’intense réflexion éducative d’une part et qui rencontre l’évènement révolutionnaire d’autre part. Dans la seconde moitié du xviiie siècle s’est ainsi élargi l’horizon d’attente des pédagogues qui ont progressivement identifié leur public au peuple, tentant des expériences à un niveau personnel et local parfois, jusqu’à imaginer des utopies pédagogiques pour des sociétés entières.

Une révolution pédagogique et politique s’opère alors pour interroger toutes les formes d’éducation populaire. L’école n’est qu’un des lieux et des temps de l’éducation qui prend avec la Révolution française un sens civique. Le constant va-et-vient entre le terrain de la lutte politique et celui de l’innovation éducative devient ainsi un mouvement de fond qui se manifeste par exemple par l’insistance sur toutes les formes de vulgarisation ou « élémentation » des savoirs, y compris politiques. Tous les âges sont concernés par une première ébauche d’éducation permanente.

Dans son article consacré à l’histoire de la pédagogie écrit pour le Nouveau dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire (1911) sous la direction de Ferdinand Buisson, le grand pédagogue républicain Gabriel Compayré voit dans le xviiie siècle la véritable rénovation des études et des méthodes pédagogiques. James Guillaume, historien majeur de la politique éducative révolutionnaire a ainsi insisté sur le fait que Pestalozzi fut fait citoyen français par la Législative en 1792. En 1883, Georges Dumesnil publia une histoire de l’école révolutionnaire sous le titre La Pédagogie révolutionnaire. Ces deux auteurs ont souhaité mettre en correspondance ce que Dumesnil appelle « les documents pédagogiques » et Guillaume « les systèmes pédagogiques » (dans une Note sur l’instruction publique parue en volume en 1888) et les « régimes politiques » (Guillaume) ou « forces politiques » (Dumesnil). Ainsi, dans le contexte du Centenaire de 1889, les deux historiens analysent les projets politiques et éducatifs qui se succèdent tout au long de la décennie révolutionnaire.

Cette approche règlementaire fut reprise dans le contexte du Bicentenaire de 1989 par de grands historiens de l’école révolutionnaire, tels que Bronislaw Baczko ou Dominique Julia. L’introduction de l’ouvrage de Baczko qui analyse les projets révolutionnaires (Une éducation pour la démocratie, 1982) permet d’examiner le lien opéré entre éducation et politique : « La pédagogie est ainsi tour à tour, le déterminant et le déterminé d’une politique. » Cette relation étroite entre pédagogie ou éducation, et politique est centrale.

Mona Ozouf publia en 1989 un recueil de ses articles intitulé L’homme régénéré dont elle détaille le projet en étudiant l’expression « pédagogie révolutionnaire » utilisée par Dumesnil un siècle plus tôt mais dans un sens très différent : « C’est donc autour de la pédagogie révolutionnaire que tourne ce livre, bien qu’il n’aborde jamais les contenus pédagogiques proposés par les réformateurs révolutionnaires de l’Instruction publique. » Elle précise plus loin que « L’école ici prend un sens extraordinairement dilaté : elle se confond avec la Révolution elle-même. » De son côté, Dominique Julia a participé au Dictionnaire historique de la Révolution française et, faisant référence à l’analyse de l’école par Ozouf sous l’angle du transfert de sacralité ou bien se référant aux travaux de Baczko et à son étude de l’œuvre scolaire révolutionnaire sous l’angle de l’utopie, Julia insiste dans son article sur la dimension patrimoniale des projets révolutionnaires : «  Surtout, elle a fait de l’école un vecteur d’émancipation, creuset d’une égalité démocratique entre les citoyens, agent actif, par l’accès à la culture qu’elle procure, d’une promotion sociale due au seul mérite. »

Vingt ans après le Bicentenaire, en 2009, Jean-Luc Chappey a dressé un bilan historiographique au titre significatif, « Les écoles de la Révolution : pour en finir avec la thèse de la table rase », qui illustre les enjeux contemporains de cette histoire de l’éducation révolutionnaire dans un sens extensif : « En l'an II, la pédagogie envahit tout l'espace social et politique. » En 2013, l’historien de l’école révolutionnaire René Grevet a consacré un article à la question dialectique suivante : « L’école de la Révolution à l’épreuve de l’utopie réformatrice. » Il a analysé « le fait scolaire en révolution » pour aboutir au constat d’un « décalage entre les espérances révolutionnaires et les réalisations » d’une part mais aussi pour constater que la Révolution a jeté « les bases d’une instruction publique sous le contrôle d’un État enseignant. »

Dans la continuité de ces travaux qui embrassent l’éducation ou la pédagogie révolutionnaire dans un sens étendu et mêlent éducation et politique, ce séminaire sera organisé autour des axes suivants :

  • Les discours et pratiques politiques : comment se construit une politique pédagogique, depuis les Assemblées nationales jusqu’aux écoles de village, quels sont les dynamiques des débats entre députés, puis une fois les lois votées, comment est appliquée la loi et quels pouvoirs peuvent se donner les représentants de la loi ou fonctionnaires pour vérifier sa bonne application ?
  • Comment la Révolution a-t-elle clairement identifié la naissance d’une nation par cette invention pédagogique qui n’allait pas tarder à la placer face aux forces traditionnelles du clergé et donc, la Révolution et la période qui a suivi avec l’Empire ont-elles réussi une première acculturation ou non ?
  • Les transferts pédagogiques, en particulier, ceux qui s’opèrent entre les différents supports utilisés comme support d’éducation populaire (presse, brochures, théâtre, fêtes, musées, etc.) mais aussi pour instruire les enfants ou les adultes (livres élémentaires, manuels de vulgarisation, etc.). Un contexte révolutionnaire est souvent propice à ces transferts car la pédagogie envahit toute la sphère publique.
  • Le mouvement de fond observé au cours de la période concernée est un jeu de va-et-vient entre le terrain de la lutte politique et celui de l’innovation pédagogique ce qui pose la question du rapport entre engagement et éducation politiques. Ce déplacement de la lutte politique vers l’éducation a été notamment observé chez les Conventionnels en exil et leurs enfants par Sergio Luzzatto (Mémoire de la Terreur, 1991).
  • Les acteurs et actrices ne seront pas oublié.e.s, les instituteurs et institutrices de l’époque révolutionnaire, mais aussi les professeurs d’institutions républicaines comme le Museum d’histoire naturelle par exemple,  ont eu un rôle de premier plan qu’il convient d’étudier non seulement sous l’angle de l’histoire politique, sociale mais aussi du genre. Il serait utile d’interroger la règlementation et son application et donc analyser contrôle normatif par les instances en charge de la surveillance de ces diverses formes d’éducation, notamment sous le Directoire, régime particulièrement intéressant par sa durée.

Programme

24 mars 2021 – Introduction du séminaire

Pierre Serna,  La Révolution : une propédeutique permanente

Jean-Charles Buttier (Unige), Le catéchisme républicain, une pédagogie révolutionnaire ?

31 mars 2021 – Du papier à la toile : le potentiel des Archives Parlementaires

Journée d’études en visioconférence à la Bibliothèque de la Sorbonne  31 mars, en collaboration avec le laboratoire Persée, la BIS et les chercheurs de l’IHRF-IHMC

7 avril 2021 – Mélisande Kripiek (élève de l’école des Chartes en cours de thèse)

Les professeurs du Museum d’histoire naturelle et leur enseignement 

12 mai 2021 – Côme Simien (IHRF-IHMC)

Les instituteurs de la République

19 mai 2021 – Caroline Fayolle (LIRDEF, Montpellier)

La fabrique scolaire du genre et de la « race » (colonies antillaises, 1795-1830)

26 mai 2021 – Anthony Saggese (IHRF-IHMC)

Le projet d’une éducation régénérée sous le Directoire

2 juin  2021 – Marie Ranquet et Céline Parcé (Archives Nationales)

Les grands textes de loi de l’éducation  sous la Révolution


Bibliographie

Numéro spécial de LRF/IHRF sous la direction de Caroline Fayolle et Jean Charles Butier, Pédagogies, utopies et révolutions (1789-1848), no 4, 2013, https://journals.openedition.org/lrf/791

Baczko (Bronislaw), Une éducation pour la démocratie. Textes et projets de l'époque révolutionnaire, Paris, Garnier, 1982.

Baczko (Bronislaw), « Ici on s’honore du titre de citoyen », dans Monnier (Raymonde) (dir.), Citoyens et citoyenneté sous la Révolution française. Paris, Société des études robespierriste, 2006.

Boulad-Ayoub (Josiane) (dir.). Former un nouveau peuple ? Pouvoir, Éducation, Révolution. Paris, France, Saint-Nicolas (Québec), Les Presses de l’Université de Laval, L’Harmattan, 1996.

Buttier (Jean-Charles), « Un exemple de transfert pédagogique : le catéchisme politique », Paedagogica Historica. International Journal of the History of Education, 2012/4, p. 511-547.

Buttier (Jean-Charles), « Les trois vies du Catéchisme républicain, philosophique et moral de La Chabeaussière », Annales historiques de la Révolution française, avril-juin 2011, 364, p. 163-192.

Chappey (Jean-Luc), « Les écoles de la Révolution : pour en finir avec la thèse de la table rase », dans Biard (Michel) (dir.). La Révolution française. Une histoire toujours vivante. Paris, Tallandier, 2009.

Fayolle (Caroline), La Femme nouvelle. Genre, éducation, Révolution (1789-1830), Paris, CTHS, 2017.

Grevet (René), Marchand (Philippe) (dir.), Les débuts de l’École républicaine (1792-1802). Revue du Nord, Tome LXXVIII, octobre-décembre 1996.

Grevet (René), L’avènement de l’école républicaine (1789-1835), Villeneuve d’Ascq, Presses du Septentrion, 2001.

Grevet (René), « L’école de la Révolution à l’épreuve de l’utopie réformatrice », dans Buttier (Jean-Charles), Fayolle (Caroline) (dir.), Pédagogies, utopies, révolutions (1789-1848), La Révolution française, 4/2013. En ligne : https://journals.openedition.org/lrf/794

Julia (Dominique), Les trois couleurs du tableau noir. La Révolution, Paris, Belin, 1981.

Julia (Dominique), « Instruction publique/éducation nationale », dans Soboul (Albert) (dir.), Dictionnaire historique de la Révolution française, Paris, PUF, 1989.

Luzzatto (Sergio), Mémoire de la Terreur. Vieux montagnards et jeunes républicains au XIXe siècle, Lyon, PUL, 1991.

Ozouf (Mona), La fête révolutionnaire (1789-1799), Paris, Gallimard, 1976.

Ozouf (Mona), L'École de la France : essais sur la Révolution, l'utopie et l'enseignement, Paris, Gallimard, 1984.

Ozouf (Mona), L’homme régénéré. Essais sur la Révolution française, Paris, Gallimard, 1989.

Serna (Pierre), « Révolution », dans Baczko (Bronislaw), Porret (Michel), Rosset (François) (dir.), Dictionnaire critique de l'utopie au temps des Lumières, Georg editeur, Chêne-bourg, Suisse, 2016, p. 1093-1115.

Simien (Côme), « Des maîtres d’école aux instituteurs : une histoire de communautés rurales, de République et d’éducation, entre Lumières et Révolution (années 1760–1802) », Annales historiques de la Révolution française 2018/2 (no 392), p. 189 à 202.